Patrimoine normand

Barneville et Carteret face aux îles

Lundi 21 Avril 2008
Barneville et Carteret face aux îles

Le cap de Carteret (DR).


Extrait Patrimoine Normand N°09.
Par Jean de Longaunay.

Barneville et Carteret et leurs alentours, sont exceptionnels à plus d'un titre : superbe côte maritime, cap rocheux et immenses dunes sauvages baignés par la douceur du Gulf Stream, deux stations balnéaires de qualité s'appuyant sur un arrière pays cotentinais aux riches témoignages du passé. Et Carteret est aussi la porte d'accès aux îles anglo-normandes.

 

L'auteur de ces lignes découvrit cette région il y a plus de trente-cinq ans en arrivant sur des plages désertes, a Hatainville ou Beaubigny, au milieu d'immenses dunes où, bien heureusement, n'apparaissaient aucune construction humaine. Il en est encore de même, au milieu des dunes de Hatainville, face à la mer, le temps n'existe plus et le XXe siècle semble bien loin : on ne serait pas étonné de voir apparaître l'une des longues barques de Vikings ; le paysage n'a pas changé depuis qu'ils ont nommé ces dunes melar, dans leur langue, on les désigne toujours sous le nom de « mielles ». Quant à l'herbe qui pousse sur ces dunes, ils l'ont désignée dans leur langue = melgraes (en norrois, et encore en islandais), on dit toujours « melgreux ». Un Viking du nom de Hasteinn s'est installé ici, le nom du village de Hatainville en perpétue le souvenir.
Ainsi, au nord du cap de Carteret, s'étendent, jusqu'au cap de Rozel au nord, environ sept kilomètres d'une longue plage préservée s'appuyant sur l'exceptionnel paysage naturel de ces
« mielles », protégées par le conservatoire du littoral - un patrimoine naturel exceptionnel. Et, là, quand arrive le soir, la côte étant tournée vers l'ouest, l'astre du jour disparaît dans l'océan en de flamboyants couchers de soleil irisant les vagues de milliers de paillettes d'or. Somptuosité que l'on retrouve sur toute la face occidentale du département de la manche. Ici, au cap de Carteret, on aperçoit l'île toute proche de Jersey, un bout de Normandie au milieu de l'océan.

Un large estran se découvre à marée basse au pied des mielles d`Hattainville. En contrebas, au premier plan, les vestiges de la vieille église Saint-Germain ( SWG).

Les dunes ou mielles de Hatainville, exceptionnel paysage naturel. Au premier plan, les ruines de la "Veilles Eglise" Saint Germain de Carteret dominant le grandiose paysage des "mielles" (© Stéphane William Gondoin).

L'allée couverte du Grand Breuil aux Moitiers d'Allonne.

L'allée couverte du Grand Breuil aux Moitiers d'Allonne (© The Megalithic Portal).

Dès les temps les plus anciens

Ce terroir cotentinais, est riche de témoignages du passé. A l'époque néolithique, des groupes humains étaient installés ici, en particulier au Moitiers d'Allonne où nous pouvons toujours admirer l'allée couverte du grand breuil (une vingtaine de mètres de long — datée de - 2400 à - 1600) et à la Haye-d'Ectot où se trouve une autre allée couverte, moins bien conservée. Ces premières populations d'agriculteurs possédaient un retranchement : l'épron barré du cap de Carteret, la levée de terre est encore visible dans sa partie nord et on y a retrouvé des chutes de taille de silex.
A l'époque gallo-romaine, un peu plus au sud Port-Bail est une localité portuaire importante. Cinq voies romaines en partent. Le terroir actuel de Barneville-Carteret est en connexion avec cette localité par ses domaines ruraux puis, la menace saxonne et l'établissement du Littus Saxonicum, au
IIIe siècle, avec ses camps retranchés, les « Câtelets », celui de Carteret réamégé (le « Câtel ») et le Câtelet de Carteret. L'évangélisation du pays commence à la fin du Ve siècle avec l'arrivée à la Diélette (Direth) de Saint-Germain-le-Scot (un irlandais). Il extermine un dragon dans une anfractuosité du Cap de Carteret ; probablement la destruction d'un lieu de culte païen dans une grotte. Son rôle dans l'évangélisation de tout ce secteur ouest du Cotentin est rappelé par la présence de nombreuses églises dédiées à Saint Germain (en fait Saint-Germain d'Auxerre) : La veille église de Carteret, Barneville sur mer, Saint-Germain-sur-Ay, etc. Saint Germain aurait baptisé les garnisons des postes militaires du Littus Saxonicum. au nord du cap ou nez de Carteret, se trouvent les ruines de la Veille Église dédiée à Saint Germain et dominant le grandiose paysage des « mielles ». Elle sera église paroissiale avant de s'effondrer en partie avec la dune et abandonnée au XVIIe siècle (1689) au profit de la chapelle Saint-Louis. a côté de la Veille Église se trouvait une fontaine dédiée à Saint Germain, aux vertus thérapeutiques.
 

Les Vikings et le Moyen âge

Puis au IXe, les Vikings qui contrôlent la Bretagne, s'installent aussi dans l'actuel département de la Manche à l'ouest de la Vire. Dans la région, les noms de lieux précisent leur implantation : Ectot (dans la Haye d'Ectot), Quinetot (Barneville-Carteret), il y a aussi Gennetot et Lanquetot près de Port-Bail tout proche. Le Cap de Carteret est aussi le Nez de Carteret (nes est un cap dans la langue des Vikings). Les noms de certains d'entre eux nous sont conservés par des toponymes : Barni dans Barneville, Thorgisl dans Saint-Jean-de-la-Rivière (anciennement Thorgisvilla), Tummi dans Saint-Georges-de-la-Rivière (anciennement Tummevilla), Arnketill dans Saint-Pierre-d'Arthéglise, Svarthofdhi dans Sortosville-en-Beaumont et Hasteinn dans Hatainville.
Puis au XIe siècle, le compte de Mortain établit un fief à Barneville. Les Sires de Barnevilles construisent un château à motte ou enceinte circulaire près de l'église ; il reste d'importants vestiges de cette fortification de terre de 50 mètres à la base et de 8 mètres de haut (versant sud le mieux conservé), le calvaire de Barneville, à proximité de l'église est édifié sur son emplacement (superbe vue). La famille de Barneville serait restée en Angleterre après 1204. A Carteret, les de Carteret joueront un rôle important, Godefroy de Carteret est aux côtés de Guillaume le Conquérant en 1047 au Val ès Dunes, deux de ses fils au moins, Onfroy et Mauger participent à la Bataille d'Hastings, Renaud Ier de Carteret participe à la prise de Jérusalem (15 juillet 1099). C'est aussi l'époque où se constituent les bourgs, aux XIIe et XIIIe siècles : les sires de Barneville organisent un bourg au XIIe siècle au nord de leur château et de l'église qui est reconstruite à cette époque à partir de la réserve seigneuriale (terre du seigneur). Quant aux Carteret, en 1204 a lieux le grand choix, ils sont aussi seigneurs de Saint-Ouen à Jersey. Ayant soutenu, le roi d'Angleterre, Jean Sans Terre, le seigneur de Carteret a mis Jersey en état de défense. En 1205 ses terres de Carteret en Normandie sont saisies. Elles seront ensuite restituées à sa famille par Saint Louis. Mais avec la guerre de Cent Ans, en 1338, les français ravagent Jersey et le mettent le siège devant le château de Montorgueil défendu avec succès par Renaud V de Carteret. Le 11 avril 1348 , les de Carteret perdent leur possesions continentales mais sont toujours installés dans leur manoir de Saint-Ouen sur l'île de Jersey.

Une activité maritme intense

Au XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle, le port de Carteret bénéficie d'une importante activité maritime. A la fin du XVIIe siècle a lieu un commerce de la laine avec les îles. Et, entre 1710 et 1788, navires de commerce et de pêche ont été construits sur place dont 57 pour des armateurs de Carteret. Ces chantiers navals sont alors en bordure du havre sans installation spéciale. Entre 1739 et 1750, il y a 6 charpentiers de marine et calfats à Carteret, il en sera de même entre 1755 et 1764.
Les caboteurs et navires de Carteret commercent alors surtout avec les îles anglo-normandes et Chausey (39% des destinations - Jersey pour les trois quarts de celles-ci) ; les bateaux de Carteret amènent dans les îles des toiles de lin, des plumes pour les lits, du cidre et de la poterie et ils ramènent la laine, du charbon de terre et de l'argent. Les autres destinations sont Saint-Malo (22 %), Rouen, Granville (qui reçoit du bois de construction), mais aussi La Rochelle (bois à brûler, et charbon de terre), Dunkerque, Calais, Dieppe. Ces bâteaux chargent aussi du sel pour Honfleur ou Bordeaux. Il y avait en effet des salines (depuis au moins l'époque des Vikings) dans le fond du havre de Carteret ; elles disparaîtront progressivement au XVII
Ie siècle.
Quelques morutiers sont aussi armés pour la pêche à Terre Neuve – Le Saint Jean (90 tonneaux) construit en 1742 à Carteret, le Griffon de 100 tonneaux construit en 1749 et le César Auguste construit en 1751.

Mais c'est une époque de conflit avec l'Angleterre et c'est la « course » avec le Coureur, un navire corsaire de 20 tonneaux (44 hommes d'équipage dont 5 de Carteret, 10 de Barneville, 7 de Granville et 2 de Portbail) armé par Jacques le Griffon en 1756. Cinq ans plus tard, François Ledos de Carteret commande Le Hardy, un corsaire de 5 tonneaux (12 hommes d'équipage) et, en 1762, Jacques Ledos de Carteret commande le Francmaçon, corsaire de 12 tonneaux (19 hommes d'équipage dont 10 de Carteret) qui a au moins une prise. Le Hardy avait eu deux ou trois prises dont une gabare de Jersey et un bateau hollandais. Le 13 avril 1757, à bord du sloop de 8 tonneaux l'Hirondelle, François Ledos reprend aux Anglais la Jeanne Esther, un navire de La Rochelle de 80 tonneaux plein de marchandises ! Et naturellement, il y a aussi la contrebande avec Jersey ; avec des marchandises prohibées. les principaux armateurs sont alors les Ledos, Le Griffon, Lemperière, Noël, Poret. On voit encore, près du havre certaines de leurs maisons dont celle de Nicolas Ledos. Veilles maisons du XVIIIe  siècle et havre presqu'inchangé, on retrouve encore à Carteret l'âme de ce XVIIIe  siècle maritime.
Mais cette période de guerre est aussi marquée par une vigilance accrue. Il y a des postes de guet en haut des clochers des églises fortifiés (comme celle de Barneville), des unités de gardes-côtes. Le fort du Cap de Carteret est aussi un témoignage bien conservé de ce XVII
Ie  siècle quant à la batterie d'Ennemont, il en reste un bout de mur sur la route menant à la plage en dessous du Cap de Carteret.
En cette fin de XVII
Ie  siècle, René du Saussey est seigneur de Barneville avec 7 000 livres tournois de rente, alors que Blaise Lefebvre de Graffard vit dans sa pauvre ferme de la Sansonnerie à la Haye-d'Ectot. Par contre, à la Haye-d'Ectot, François de la Luthumière a 24 000 livres de rente. Notons que, de 1666 à 1699, la Seigneurie de Carteret avait été entre les mains de Catherine-Thérèse de Matignon (née de La Luthumière). La famille de Matignon s'allia, comme on le sait à la famille des princes de Monaco (voir Patrimoine Normand N°6, article sur Valmont).

Carteret au début du XXe siècle, tableau A.D. La Lyre (Collection. communal).

Carteret au début du XXe siècle, tableau A.D. La Lyre (Collection communal).

Les bains de mer

Au XIXe siècle, les caboteurs sont encore nombreux à Carteret. Les premières liaisons avec Jersey s'établissent en 1881 avec le Claire, vapeur de 39 tonneaux assurant un service de 1881 à 1885, puis le Gerfleur, petit vapeur, le Cygne (à partir de 1894 et jusqu'en 1912), vapeur à roues à aubes. Le 1er mai 1913 arrive un steamer à roue à aubes, le Jersey.
 

Entre les deux guerre ce bateau assure la liaison entre Carteret et Jersey

Entre les deux guerre ce bateau assure la liaison entre Carteret et Jersey (Collection communal).


Plage de Barneville-sur-mer au début du XXe siècle. La station prendra son essor en 1926.

Plage de Barneville-sur-mer au début du XXe siècle. La station prendra son essor en 1926 (Collection communal).



Dès 1823, Jules Barbey d'Aurevilly était venu en villegiature à Barneville. En 1842, 23 personnes viennent « prendre les bains de mer » à Barneville, on loge alors chez l'habitant. La station de Carteret commence à se développer en 1880, avec la « Société Anonyme des terrains et vapeurs de Carteret ». Le « Grand Hôtel de la Mer » est construit en 1883 suivi, en 1885 de « l'Hôtel d'Angleterre », de « l'Hôtel du Vieux Château », etc. A Barneville, les premières villas sont construites en 1887. Sur les plans de l'architecte Roberti, la Princesse de Chimay fait construire le château à peine achevé en 1914, elle n'y habitera pas. La station prend son essor en 1926 pour se déveloper à partir de 1960.
Barneville et Carteret, riche de leur passé encore tangible au détour des rues, s'appuient sur l'exceptionnel site naturel des
« mielles » de Hatainville au nord et sur un arrière-pays au riche patrimoine avec ses nombreux manoirs, églises, son allée couverte. Un terroir trop méconnu par la plupart des Normands.

Ce texte doit beaucoup aux deux ouvrages de Jean Barros : le Canton de Carteret (Cotes des Isles) - Patrimoine, volume 1 ; Dans l'hitoire, volume 2.

Traditions maritimes et scènes de vie dans l'espace des îles

Barneville-Carteret bénéficient d'une grande tradition maritime. Tous les ans a lieu la course à l'aviron Gorey (Jersey) - Carteret ; elle aura lieu cette année le 27 juillet (toutes catégories), avec un esprit décontracté et « viking », sans oublier les fêtes de la mer (4 août). Entre Jersey et Carteret on rencontre les îlots des Ecrehou auprès desquels on peut parfois voir des dauphins. A Carteret, on peut aussi admirer une goëlette traditionnelle reconstituée - la Neire Mâove (la « mouette noire », nom normand d'origine scandinave) sur laquelles on peut aussi naviguer.
 
 


Abonnement Patrimoine Normand

Partagez sur les réseaux sociaux

Catégories

Autres publications pouvant vous intéresser :

Commentaires :

Laisser un commentaire
Aucun commentaire n'a été laissé pour le moment... Soyez le premier !
Paiements sécurisés
Abonnement Patrimoine Normand

ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER :

  • PARTENAIRE(S) 

    Abbayes de Normandie  France Bleu

NOUS SUIVRE

 Twitter Patrimoine Normand  

PRATIQUE

  • Le magazine PATRIMOINE NORMAND
  • est édité par les éditions Spart
  • © PATRIMOINE NORMAND - 1995-2024

ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER :

  • PARTENAIRE(S) 

    Abbayes Normandes  France Bleu

NOUS SUIVRE

 Twitter Patrimoine Normand  

PRATIQUE

  • Le magazine PATRIMOINE NORMAND
  • est édité par les éditions Spart
  • © PATRIMOINE NORMAND - 1995-2024
Patrimoine normand