Patrimoine normand

Le sacrifice de l’église Saint-Paul de Pont-Audemer

Jeudi 31 Janvier 2008
Le sacrifice de l’église Saint-Paul de Pont-Audemer

L’église Saint-Paul de Pont-Audemer en cours de démolition (clocher enlevé). Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.


Extrait Patrimoine Normand n°44.
Par Alexandre Vernon.

 
L’église Saint-Paul avant démolition prise du chevet. (Photo Alexandre Vernon© Patrimoine Normand.)
L’église Saint-Paul avant démolition prise du chevet. (Photo Alexandre Vernon© Patrimoine Normand.)

« Il est une église au fond d’un hameau

« dont le fin clocher se mire dans l’eau

« dans l’eau pure d’une rivière… »

Cette vieille chanson pleine de poésie que chantait jadis Jean Lumière nous rappelle le choc affectif que l’on ressent devant une chapelle rurale, si modeste soit-elle, même très ancienne, même à moitié délabrée, même si « des volubilis en cachent l’entrée ».

Car un tel lieu saint, même déserté, souvent gardé tout autour par des sépultures d’an­ciens fidèles, recèle toujours une part de l’âme de tout un village. Sans parler de la valeur patrimoniale de l’éfidice quand il nous vient de nos lointains aïeux.

Il faut donc un motif bien grave pour détruire la vieille église ou la chapelle d’un village qui, comme tous les villages de France, reste attaché à ses traditions. L’église Saint-Paul sur Risle de Pont-Audemer, dans le département de l’Eure, bien que très excentrée, était tout simplement ravissante dans son écrin de verdure, surplombant magnifiquement la vallée de la Risle. Elle possédait, outre ses assises du XIIe siècle, un contrefort plat de la nef de la même époque et, à l’intérieur du chœur, des baies géminées ogivales, bouchées, avec au-dessus des traces d’un arc en plein cintre en pierre. La cuve baptismale était elle aussi du XIIe. Plusieurs époques se sont succédées dans cette modeste église avec des ajouts, des modifications, et des témoignages de la vie spirituelle de tout un village, de toute une région. Elle aurait pu tout aussi bien mériter son classement sur la prestigieuse liste de l’inventaire des Monuments Historiques. Malheureusement le temps, insidieusement, l’avait dégradée, sans toutefois la conduire à la ruine, et sans présenter un danger immédiat pour la population.
 

Une décision bien malheureuse

Alors, pourquoi cet acharnement à détruire ce témoin du passé ? Car de cette pauvre église, la commune a décidé son anéantissement. Cela est d’autant moins compréhensible de la part d’une ville comme Pont-Audemer, « ville sauvegardée », si riche en partrimoine historique et architectural, la « Venise normande » comme on la surnomme… quand on connaît tout son charme qui vient justement de ses bâtiments « à la normande », de l’ambiance de ses quartiers anciens que traverse la rivière. Ah ! Bien sûr, il aurait fallu engager des frais pour restaurer cette vieille église, ne serait-ce que pour la consolider. Et pourquoi faire, disent ses opossants, puisqu’elle n’était plus fréquentée ? Pourtant, depuis plusieurs années, l’Association « Sauvegarde des Patrimoines de la Basse Seine », la S.P.B.S., avait attiré l’attention du maire sur l’état d’abandon et de délabrement de l’église, de l’urgence des mesures à prendre, sur l’intérêt culturel et architectural de l’édifice. Mais, par incurie, ce qui devait arriver arriva… l’église s’est en partie écroulée l’an dernier.

Le maire, bientôt, dès le début du mois de juillet 2002, sans attendre une délibération du Conseil Municipal à ce sujet, sans en avertir les « Bâtiments de France », c’est-à-dire sans aucune demande de permis de démolition, décida de détruire l’église Saint-Paul. Aussitôt la S.P.B.S., alarmée de voir entreprendre en toute illégalité la démolition de l’église, s’empressa de saisir le tribunal administratif de Rouen en même temps qu’étaient envoyées des lettres de protestations auprès du Préfet de l’Eure et du procureur de la république. Le juge du tribunal administratif ordonna donc l’arrêt immédiat des travaux de démolition, mais le mal était déjà bien entamé. Pire, et d’après le bureau de la S.P.B.S. « la commune s’est empressée dans les 48 heures qui ont suivi la demande de justisfication par le Tribunal d’abattre l’édifice roman encore debout pour faire constater par huissier qu’il n’y avait plus rien à préserver. »

Si bien qu’il n’y a plus que des ruines avec quelques pans de murs subsistants au milieu de tombes désolées. Quelle tristesse ! « La ville a pris une décision courageuse et nécessaire » a écrit le maire dans le journal « L’Eveil de Pont-Audemer » pour se justifier. « Il appartient à la collectivité de prendre les décisions les plus justes sans reporter sur les générations futures des “non-choix” qui seraient ingérables et coûteux. » Jusqu’à supprimer ce qu’il a de plus sacré… Et les sépultures autour de l’église, que vont-elles devenir ? Bien des familles s’inquiètent.
 

L’espoir d’une chapelle

Pour l’habitant du quartier Saint-Paul, il est certain que l’on aurait pu faire quelque chose pour éviter ce désastre. « Et au moindre coût ! » souligne Valentine Goetz, présidente de l’association SPBS à Pont-Audemer, « et avec le concours des habitants du quartier dont de nombreux jeunes qui se seraient mobilisés. » nous a dit une proche voisine. Un devis grâcieux de 20 000 F n’a-t-il pas été proposé à la mairie ! « Aujourd’hui, nous a confié la présidente avec une lueur d’espoir dans la voix, on pourrait peut être encore sauver la chapelle pour en faire une chapelle funéraire. Ce serait un endroit idéal de recueillement dans un site agreste typique normand que bien des gens iraient voir… »

Il n’empêche qu’une démolition de « vieilles pierres » reste un moment douloureux, comme un effacement de souvenirs. Que de petites chapelles rurales y soient exposées sans recours est une pensée absolument intolérable. On n’a pas le droit de détruire sans raison valable le patrimoine, si modeste soit-il, que nous ont laissé nos ancêtres.

Après le passage des démoliseurs. (Photo Alexandre Vernon© Patrimoine Normand.)

Après le passage des démoliseurs. (Photo Alexandre Vernon© Patrimoine Normand.)


Retrouvez l'article intégral dans la version papier de PATRIMOINE NORMAND (n°44, novembre-décembre 2002-janvier 2003).
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