Patrimoine normand

Maquereau au fenouil - recette de Blainville

Jeudi 31 Janvier 2008
Maquereau au fenouil - recette de Blainville

Maquereau au fenouil - recette de Blainville. (Photo Georges Bernage © Patrimoine Normand.)


Georges Bernage

Extrait Patrimoine Normand n°46.
Par Georges Bernage.

 
Les ingrédients : des maquereaux, de la mie de pain, du fenouil, de la crème fraîche, des groseilles à maquereau. (Photo Georges Bernage © Patrimoine Normand.)Les ingrédients : des maquereaux, de la mie de pain, du fenouil, de la crème fraîche, des groseilles à maquereau. (Photo Georges Bernage © Patrimoine Normand.)

Dans cette rubrique, nous souhaitons retrouver les recettes normandes d’autrefois, celles qu’on faisait chez soi, il y a au moins un siècle. Ce sont des recettes simples, de pêcheurs et d’agriculteurs, qui disparaissent et tombent dans l’oubli. Nous tentons ici de les répertorier et de les faire revivre.

Il y a la cuisine qu’on consommait autrefois en Normandie et il y a la cuisine de « style normand » inventée ou transposée par de nombreux chefs et qui devient souvent une panacée touristique. Mais, généralement, elle n’est pas plus représentative de la réalité culinaire normande, très diversifiée selon les terroirs, que le « pan de bois deauvillais » n’est représentatif de l’architecture de toute la Normandie. La cuisine de « style normand » des grands chefs est un plaisir pour les papilles mais on peut la comparer à une variation musicale extrapolée d’une partition musicale immémoriale qui viendrait à être perdue. C’est ce qui se passe avec notre cuisine de terroir. Avec la disparition progressive des « grands mères », de vieilles et simples recettes sombrent dans l’oubli. Les nouvelles générations prises dans un tourbillon où un pseudo-progrès n’est que ruine de l’âme et du corps, ne disposant plus du temps nécessaire et ayant à portée de main des produits parfois médiocres et des plats préparés de la grande distribution, peuvent difficilement faire face à ce naufrage.

Nous tenterons ici d’établir, petit à petit un conservatoire de la cuisine traditionnelle - envoyez-nous les recettes de vos grands-mères avec leurs références et leurs localisations et des photos des préparations, si possible ! À côté de la cuisine raffinée et subtile de « style normand » des grands chefs, retrouvons une cuisine authentique et simple à réaliser. Il est nécessaire pour cela, comme pour un document historique, d’avoir des sources anciennes avérées. C’était le cas, dans cette rubrique, pour la poule au blanc, la teurgoule ou terrinée, les douillons et bourdelots. Nous vous présentons aujourd’hui une « recette » qui semble disparue ; elle est absente de nombreux livres de cuisine normande que nous avons pu consulter. Une fois encore, nous nous sommes plongés dans un ouvrage daté de 1934, Vieux mangers, vieux parlers bas-normands de Jean Seguin. Les sources anciennes sont très rares et cet ouvrage évoque des plats ou des usages culinaires déjà bien enracinés, donc fort anciens, à cette époque. Mais, s’ils sont évoqués, ces plats ne sont pas accompagnés de leurs recettes. Il faudra donc faire ici de « l’archéologie » culinaire et proposer une « reconstitution » qui pourra, peut-être être précisée par les lumières d’un de nos lecteurs.

À la page 115 de son ouvrage, Jean Seguin évoque l’un de nos poissons parmi les plus courants : « Le maquereau se mange frit dans le beurre ou enveloppé de fenouil, grillé puis servi avec du beurre fondu, relevé d’un filet de vinaigre et « marié » de persil. » Il a, déjà, des propos « écologiques » en précisant qu’alors il n’y a « plus de très bon maquereau depuis qu’on le pêche à la turlute en appâtant les bords du canot avec de la fargue (mélange de farine de lin et de poisson haché) qui a l’inconvénient d’empoisonner les poissons et de nuire à leur fraîcheur. » Il continue en évoquant ce qu’il a entendu à l’est de Port-en-Bessin et à Granville : « Ceci dit pour expliquer le propos… un peu étrange que j’ai entendu dernièrement encore par une vieille femme de Commes, laquelle dans sa simplicité rustique, me confessa que “la pétrole” utilisé sur les petits bateaux empoisonnaient… la mer et certaines espèces de poisson. Il y avait du vrai dans sa critique mais il faut maudire l’appât et non le carburant ! À Granville, vous entendrez : Macrais frais, macrais frais ! Allons les dames v’la du biau macrais qu’arrive du bout du Roc. V’la qu’il arrive ! Macrais frais sâlé n’y a qu’à lavé ; du frais salé… Les marchandes originaires de Granville sont encore facilement reconnaissables par leur tutoiement ou leurs apostrophes plus ou moins “salées” et lancées aux acheteuses… ou acheteurs éventuels. Dans le répertoire semi-comique de ces poissonnières, l’on cite le propos d’une Granvillaise à un “parisien de plage” privé d’un œil et qui, faisant sa provision de marée, lui demandait par quel signe elle reconnaissait le sexe d’un maquereau qu’il marchandait. Cette personne lui répondit “si ça te fait plaisi, j’vas te le di mon fil (“mon fils”, expression classique), les macrais, vais-tu, c’est borgne com’touais !” » (1)

Mais c’est là qu’arrive la recette alors connue à Blainville, sur la côte ouest du Cotentin, au nord d’Agon-Coutainville. Cette localité est actuellement bien réputée pour ses suculentes huitres de pleine mer, elle l’était aussi au début du XXe siècle, pour ses maquereaux au fenouil : « Parlons de choses sérieuses… Voici une bonne recette blainvillaise : farcir vos plus gros maquereaux avec de la mie de pain, du fenouil “haché menu” et des grosses groseilles (pas tout à fait mures, que l’on a fait blanchir dans l’eau bouillante). Envelopper les poissons dans les feuilles du fenouil, faire griller puis servir avec une sauce à la crème dans laquelle on a mis, en guise de câpres, des groseilles à maquereaux, blanchies au préalable. »

Nous avons donc les ingrédients de cette recette que nous allons tenter de reconstituer : des maquereaux, de la mie de pain, du fenouil, de la crème fraîche, des groseilles à maquereau.

L’utilisation du fenouil est judicieuse, son goût légèrement anisé relève agréablement la chair tendre de ce poisson. Par ailleurs, les « coques » des feuilles extérieures du fenouil enrobent bien le poisson et donnent à votre préparation un aspect original qui surprendra vos invités. En ce qui concerne les groseilles à maquereau, elles ne sont disponibles qu’une petite partie de l’année ; il faudra donc s’en enquérir quand elles sont disponibles et pas encore trop mûres. Nous n’en avons pas trouvé à l’époque de cette « reconstitution » et nous nous sommes rabattus sur des groseilles rouges, ce qui nous a permis une découverte très agréable.

Les groseilles sont bien connues en Normandie dès l’époque des Vikings car, dans les parlers normands, elles sont désignées par des termes d’origine scandinave. En vieux scandinave (vieux norrois en particulier) gaddr signifiant « épine ». Dans son Dictionnaire du Français régional de Basse-Normandie (2), René Leppeley signale plusieurs termes normands dérivés de cet étymon scandinave. Gade désigne la groseille à grappes, il est employé dans l’est du Calvados, attesté dans le reste de ce département et dans l’Orne. Gadelle a le même sens, employé dans l’Orne et attesté dans le Calvados. Mais on trouve aussi pour la même signification, grade, employé dans la Manche, le Calvados (ouest et centre), connu dans l’est du Calvados et l’ouest de l’Orne, gradelle, attesté dans le Calvados et l’Orne, gradille, employé dans le nord et la Manche, connu dans le centre de la Manche et l’ouest du Calvados, attesté dans le sud de la Manche et l’ouest de l’Orne. Naturellement, un groseiller est un gradellier, terme connu dans le sud de la Manche, le Calvados (ouest et centre), attesté dans le centre de la Manche, l’ouest de l’Orne et l’est du Calvados, ou un gradillier, employé dans le nord de la Manche connu dans le reste de ce département et dans l’ouest du Calvados. Déjà, en 1849, E. et A. Duméril (3) avaient signalé ce terme : Gades pour petites groseilles, « dans l’arrondissement de Mortagne on dit gadelle », ainsi que les formes grades et gradilles.

Mais revenons à notre recette. L’association des groseilles avec la crème fraîche nous donne une sauce absolument délicieuse qui se marie remarquablement avec le poisson. Nous tenterons à nouveau l’expérience avec les groseilles à maquereau lorsque ce sera la saison, celles-ci remplaçant les câpres.
 

Préparation

Pour trois beaux maquereaux, on se procurera une demi-boule de pain, trois fenouils, 450 grammes de groseilles, un petit pot de crème fraîche. Après avoir vidé les maquereaux, on mettra de côté six belles feuilles de fenouil. On hachera finement le reste du fenouil qu’on mélangera à la mie de pain (qu’on aura préalablement trempée dans du lait) et aux deux tiers des groseilles qui auront été « blanchies » au préalable. On aura compris que les groseilles ne devront pas être trop mûres car, sinon, elles éclatent quand on les fait blanchir. On farcit les maquereaux avec ce mélange et on les enrobera dans les « coques » des fenouils avant de les faire griller. La cuisson des maquereaux est assez rapide, leur chair étant relativement tendre. Pendant la cuisson, on prépare la sauce à feu très doux. C’est un plat très agréable, simple et original. Nous n’en connaissons pas les proportions originales mais c’est la reconstitution d’une recette disparue. Eclairez notre lanterne si vous en savez plus et bon appétit.
 


(1) Voir à ce sujet l’article sur le costume de Granville.
(2) Christine Bonneton éditeur, Paris, 1989.
(3) Dans leur Dictionnaire du Patois Normand, publié à Caen en 1849 et réédité en 1969 par Slatkine Reprints à Genève.
 

Retrouvez l'article intégral dans la version papier de PATRIMOINE NORMAND (n°46, mai-juin-juillet 2003).
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